1.2 - Protection des ovins : la trilogie chiens-berger-enclos de nuit comme stratégie universelle

















"Ici, le loup, on le connaît, les attaques font partie de la tradition"

























































Dans les Abruzzes

C'est dans les Abruzzes que la stratégie de protection du troupeau paraît appliquée de la manière la plus complète, et apparemment la plus efficace. Gregorio Rotolo nous en donne les grandes lignes: "Cette année, on a eu une dizaine d'alertes, toujours de jour. Et aucune perte. La nuit ? Non, le loup n'attaque pas les moutons quand ils sont dans l'enclos nocturne. L'été, on rentre les troupeaux tous les soirs dans les enclos. J'ai installé des phares que le berger. qui dort sur place, allume en cas d'alerte. Et puis il y a surtout les chiens, qui restent avec leur troupeau en permanence. Chaque chien a son troupeau, qu'il ne quitte jamais. Pour lui; c'est sa famille".

En Espagne, chez les éleveurs de la Sierra de la Culebra

On retrouve la même trilogie de protection chiens-berger-enclos. Sur le territoire de la réserve, la population de loups est comprise entre 60 et 80 individus (entre 6 et 8 meutes installées) - ce qui représente une des densités les plus importantes recensées en Europe, "Les attaques du loup, ici, c'est une tradition, témoigne José-Maria Soto, représentant du syndicat local des éleveurs. J'ai 300 moutons. A cause du loup, j'en perds en moyenne environ 5 ou 6 à l'année. En 12 ans d'activité, j'ai dû en perdre 50 à 60. Dans le coin, il n 'y a pas un éleveur qui n'ait pas eu de dégât". La province de Zamora possède le plus gros troupeau ovin de toute l'Espagne : environ 800 000 têtes. C'est aussi la première région productrice de lait de brebis : il y aurait environ 25 000 brebis sur la réserve - d'où l'importance de la protection des troupeaux. Pour protéger efficacement un troupeau de 400 à 500 brebis, José-Maria Soto estime qu'il faut "un bon berger. et une quinzaine de chiens, qui doivent rester en permanence avec le troupeau". Ce dispositif de défense est complété par les corrales, ces enclos traditionnels de pierre sèche et de bruyère qui parsèment le paysage de collines de la sierra.

A Somiedo, dans les Asturies

Le loup est également présent en densité importante. "Pourtant, c'est loin d'être notre problème N° 1, explique Belarmino Fernandez, maire de Pola de Somiedo. Je dirais même que pour nous, ce n'est qu 'un problème annexe, en rapport, par exemple, aux dégâts sur les cultures dûs aux sangliers, et surtout aux cerfs". Dans cette région où l'élevage bovin prédomine, la défense des derniers troupeaux de moutons (il reste 5 troupeaux, d'environ 1000 têtes chacun) est assurée par les deux premiers volets du dispositif de protection classique: berger en permanence avec le troupeau, et chiens (6 ou 7 par troupeau de 1000 têtes, plus des chiens de conduite). Pas d'enclos de nuit, par contre : le soir, les bêtes sont rassemblées près du berger, sans dispositif clos. Quant aux petits troupeaux "familiaux" (chèvres, moutons), ils sont généralement laissés à pâturer à proximité des villages, sans protection : "Ce sont ceux qui nous posent finalement le plus de problèmes'", remarque Belarmino Fernandez, maire de Pola de Somiedo.

Des problèmes d'ailleurs relativement contrôlés par les petits éleveurs : un Français, Stéphane Laurencery, apiculteur et éleveur installé depuis 12 ans dans un hameau de Somiedo, n'a connu qu'une seule attaque depuis 7 ans qu'il a des moutons (une cinquantaine de têtes) : " Un couple de loups m'a tué une mère et deux agneaux. Mes voisins, qui ont une quinzaine de moutons, n'ont connu ces dernières années qu'une seule attaque, avec deux bêtes tuées. Pour la protection, j'ai maintenant deux mastins léonès. Je n'ai pas eu de perte depuis que je les ai. Nous allons d'ailleurs faire l'élevage de ces mastins, car il ya une demande importante dans la région ".

D'autres témoignages confirment cette tendance, ainsi que l'efficacité du chien de protection pour la protection des vaches : "Les dommages diminuent sensiblement quand on a des chiens, constate Guillermo Feito, représentant d'un syndicat d'éleveurs de bovins qui compte 121 membres sur Somiedo. Dans mon cas, j'ai eu trois veaux tués et une vache mordue il y a six ans. Pas de dégât depuis que j'ai des chiens".

Dans les Carpates méridionales

Les attaques - loup et ours - sont monnaie courante, et quasiquotidiennes lors de l'estive. Pourtant, là-aussi, le savoir-faire des bergers et la technique chiens-berger-enclos limitent les pertes. Témoignage du berger et chef de camp d'estive Nicolae Popoliu : "Chaque année, je monte en estive vers le 15 mai avec 400 brebis (dont 40 m'appartiennent), une cinquantaine de vaches et six cochons. Les pâturages d'été se situent vers Bucegi, à 4 km de Moeciu. L'été, les attaques d'ours ou de loups, on en connaÎt toutes les deux ou trois nuits, surtout les nuits sombres, ou quand il pleut. En 1999, les loups m'ont emporté 4 brebis et les ours 2 vaches et 2 cochons".

Pour la saison, Nicolae Popoliu embauche 6 bergers - ils sont donc 7 pour la traite tous les soirs. Il utilise 6 chiens de protection (berger des Carpates - ou Carpatine, noir et blanc). Brebis et vaches sont gardées dans des endroits clôturés pour la nuit: "De simples enclos de planches, qui servent juste à tenir les brebis ensemble pour la nuit. On déplace le parc tous les deux jours". Les chiens montent la garde autour de l'enclos. Les bergers dorment dehors, dans de grandes capes en peau de mouton.

Dans les Apennins du nord

A la frontière entre Toscane et Reggia Emilia, le Parc Régional du Gigante constitue un cas à part. La stratégie de protection, apparemment moins efficace et plus lourde que sur les autres sites, semble moins axée sur l'enclos et l'utilisation des chiens - et beaucoup plus sur le travail du berger. "La plupart des troupeaux ne passent pas la nuit sur l'alpage : le berger les redescend au village tous les soirs, explique Willy Reggioni, responsable du service scientifique du Parc du Gigante. Chez nous, un seul berger passe la nuit sur l'alpage avec le troupeau. Deux autres troupeaux utilisent les deux enclos construits il y a dix ans par la Communità Montana". Toujours d'après Willy Reggioni, les bergers utilisent peu les chiens de protection : "Ça dépend en fait de la taille du troupeau. En général, ces chiens, de race abruzzaine, ne sont que 2 ou 3 par troupeau, sachant que les plus gros troupeaux comptent environ 300 têtes".

Ce n'est probablement pas un hasard si les pertes semblent avoir été plus durement ressenties sur ce territoire des Apennins, le seul des cinq sites ayant connu le loup, sa disparition, puis son retour, en 1982, après une trentaine d'années d'absence. Ici, le loup apparaît comme un véritable problème pour le berger ... et pour le gestionnaire d'espace protégé : "Le loup a certainement contribué à la diminution du cheptel, constate Willy Reggioni. 2 500 moutons fréquentent habituellement les hauts pâturages de la zone protégée. C'est presque dix fois moins qu'il y a dix ans. Par peur des prédations, beaucoup d'éleveurs ont choisi de cesser leur activité. Il faut dire qu'il n 'y a pratiquement pas de jeunes bergers ou éleveurs : la plupart ont plus de 60 ans. L'élevage est en général leur activité principale. Mais nous avons la volonté de maintenir l'activité pastorale, et tenons à ce que le nombre de moutons reste stable dans le Parc du Gigante".