2.3 - Le rôle - et le coût - du berger













Dans les Abruzzes et en Roumanie, les bergers travaillent en équipe, et restent en permanence avec le troupeau : "Le salaire des bergers est de loin le poste de dépenses le plus important pour l'éleveur"

 

"Avec un prédateur comme le loup, l'homme est indispensable pour protéger les troupeaux" : tous les témoignages recueillis confirment l'importance du rôle du berger - du moins en ce qui concerne la protection des ovins. C'est sans doute le volet du système de protection le plus problèmatique - notamment en terme de coûts.

La question a été abordée dans les Abruzzes par l'éleveur Gregorio Rottolo: "J'ai toujours entre 400 et 800 laitières en production. Nous sommes quatre pour traire. Moi, un cousin, et deux jeunes bergers macédoniens. Le salaire mensuel d'un berger macédonien, dans les Abruzzes est de 1,2 millions de lires, nourn; logé (ca 580 euros)". A noter que le phénomène migratoire n'est ni nouveau ni isolé : une longue tradition d'échanges et d'émigration existe entre la Macédoine et les Abruzzes.

Ces bergers macédoniens émigrés sont bien mieux payés que leurs collègues roumains embauchés pour l'estive dans les Carpates méridionales. Le salaire moyen d'un berger pour la saison est de 4 millions de lei (245 euros) pour 4 mois de travail - soit environ 60 euros par mois. Témoignage du berger et chef de camp d'estive rencontré dans la plaine de Brasov : "L'été, j'embauche 7 personnes pour mener un troupeau de 1000 moutons et une trentaine de vaches. Nous sommes donc 8 pour traire chaque soir. Là-haut, on fait le fromage. En cinq mois, on peut produire dix kilos de fromage par brebis - dont la moitié me revient. Là-dessus, il faut que je pave les droits d'estive et le salaire des bergers, qui est le poste de dépense le plus important".

La stratégie des éleveurs roumains repose avant tout sur la présence et le travail des bergers. On privilégie le nombre des gardiens, la connaissance des moeurs du prédateur... et le courage physique.

  • Le nombre de bergers : dans la région de Piatra Craiului, les camps d'estive emploient de 6-8 bergers pour des troupeaux de 400-1000 moutons: c'est le maximum constaté lors de ces voyages.
  • une connaissance intime du comportement des prédateurs: "Lors d'une attaque, les chiens se mettent à hurler d'une manière différente si c'est un ours ou un loup. On sait tout de suite à qui on a affaire. En général, les vieux loups n'ont pas peur du tout des humains ou des chiens. Les loups attaquent toujours à 2 ou 3 ensemble - l'un d'eux attire les chiens. Ils commencent toujours par les animaux les plus petits, les agneaux. L'ours, lui, attaque directement, il ne s'occupe pas des chiens. Ce sont presque toujours les mêmes qui attaquent .- certains en prennent le goût, et attaquent tout l'été".
  • Le courage : les attaques ont lieu de jour comme de nuit. La nuit, les bergers sortent des peaux de mouton qui leur servent à la fois de lit et de cabane, allument les lanternes et prennent le bâton. "Même si l 'attaque a réussi, il nous faut absolument récupérer la carcasse pour la montrer au propriétaire de la bête, sinon la perte en revient entièrement au berger, et on doit encore rembourser le manque à gagner en fromage pour toute une saison. Le loup fait plus de dégâts, surtout sur les moutons. Mais on craint plus l'ours, qui peut qui peut vous traÎner une vache de 4 ou 500 kilos par la nuque jusqu'à la lisière de la forêt. On craint aussi pour sa vie : il faut parfois se battre avec l'ours, à coup de bâton. Une fois, mon frère a été mordu au pied : deux mois d'hopital".

Autre témoignage sur ces conditions de vie des bergers roumains :" il y a un an, mon frère à été tué par un ours qui venait lui prendre un mouton, raconte le berger rencontré entre Risnov et Bran. C'était dans l'après-midi, vers 14 h 30. Il s'est défendu à coups de bâton, comme d'habitude, mais seuls deux de ses chiens ont suivi. Moi-même, j'ai été blessé au côté par un ours, il y a longtemps.  Il ne faut pas laisser un ours s 'habituer à voler des moutons, sinon, on n'en sort pas".

Le berger en Europe de l'ouest

Le coût du berger en Roumanie n'a évidemment rien à voir avec les conditions salariales en Europe de l'ouest, que l'intervention de JeanMarc Landry nous permet de préciser. Jean-Marc Landry a étudié les problèmes de l'élevage dans les Alpes suisses - mais les chiffres fournis peuvent donner un ordre d'idée quant à la situation en Europe de l'ouest : "II faut au minimum 600 à 800 bêtes pour qu'il soit rentable d'engager un berger. Le coût minimum absolu est de 6000 à 9000 euros par saison. Avec le retour du loup, on se trouve donc confronté à un choix de caractère presque politique.' si on veut des moutons dans les Alpes, il faut payer le berger, au moins pendant la mise en place d'un système de prévention plus lourd avec utilisation de chiens...".

En attendant ce choix "politique", on voit que les éleveurs adoptent des stratégies différentes, avec des résultats plus ou moins satisfaisants: en Espagne, dans la Sierra de la Culebra, on compte un seul berger par troupeau, présent toute la journée, mais le troupeau passe la nuit à l'abri des corrales, sous la seule garde des chiens. A Somiedo, les troupeaux de vaches sont gardés sur l'alpage par les seuls mastins, de même que les petits troupeaux d'ovins parqués non loin du village. En Italie, dans le Parc du Gigante, le berger redescend tous les soirs le troupeau à l'étable - quelques rares troupeaux utilisent les enclos de nuit modernes. Enfin, dans les Abruzzes et en Roumanie, les bergers travaillent en équipe, et restent en permanence avec le troupeau.