3.3 - Roumanie : "gagner la bataille du loup"





















"La chasse est tolérée s'il y a beaucoup de dégâts sur un territoire"

 

Comme en Espagne, la chasse est autorisée sous certaines conditions

Comme en Espagne, la chasse est autorisée sous certaines conditions, et peut, localement, servir de "soupape de sécurité" aux tensions locales. D'un point de vue légal, la Roumanie a ratifié la convention de Berne en 1993, avec certaines réserves quant au statut des grands prédateurs: le loup et l'ours sont protégés - mais le permis de chasse peut être accordé si des dégâts importants sur les troupeaux sont constatés sur une région donnée. Chaque année, les sociétés de chasse demandent au Ministère de l'Eau, de la Forêt, et de l'Environnement un certain nombre de permis de chasse pour le loup, l'ours, et le lynx sur leur territoire. Ces sociétés de chasse peuvent revendre les permis à des chasseurs individuels. Depuis janvier 1998, un décret ministériel complète la protection du loup. Depuis cette date, seuls les gardes-chasse sont autorisés à tirer les loups. Par ces changements législatifs, la Roumanie remplit ses obligations légales envers la convention de Berne en matière de protection des grands carnivores. Jusqu'à aujourd'hui, cependant, ce statut légal est peu respecté dans les pratiques de gestion.

"La chasse est tolérée s'il va beaucoup de dégâts sur un territoire, explique le biologiste Ovidiu lonescu, du Parc Naturel de Piatra Craiului. Il existe un zonage géographique au niveau national, selon la densité des grands carnivores. Sur un territoire où le loup est peu présent, c'est le ministère qui paye les dégâts. Dans les régions où cette densité est élevée, on accorde des licences de tir individuelles et payantes (le prix est différent s'il s'agit de citoyens roumains ou étrangers). Chaque année, on accorde des licences de tir pour 300 loups, 200 ours (depuis cette année, la moitié des licences est attribuée à des étrangers - jusqu'à présent, 30% seulement), et 10 lynx. Dans la pratique, le loup est peu chassé par les étrangers, parce que cette chasse est difficile (on le chasse en battue), et que le trophée n'est jamais garanti". Toujours d'après Ovidiu lonescu, le braconnage sur le loup est assez rare, parce que le trophée n'a pas une grande valeur marchande - du moins en comparaison à un trophée d'ours, objet de toutes les convoitises du fait de son prix (120 000 FF - plus de 18 000 euros pour un chasseur étranger).

Le Carpathian Large Carnivore Project

En plus de la chasse comme moyen de résoudre des conflits potentiels, le Parc Naturel de Craiului envisage des actions "à l'italienne", basées sur la communication et la connaissance scientifique, notamment grâce au "Projet Grands Carnivores des Carpates". " Le Carpathian Large Carnivore Project cherche à apporter des solutions acceptables dans les conflits qui opposent les grands prédateurs aux éleveurs et chasseurs, explique Andrei Blumer. Notre projet utilise les grands carnivores comme des espèces symboliques, mais propose en fait la conservation de toute la pyramide alimentaire. Dans cette chaÎne, chaque maillon est important, depuis le plus petit insecte jusqu 'au gros mammifère. Nous cherchons donc à développer une idée plus large pour la protection des grands carnivores, qui représentent un symbole, un label pour la conservation un territoire".

La première tache du projet concerne la recherche et la collecte d'informations, "stade indispensable pour la gestion de la faune sauvage dans ses concepts les plus modernes". Le projet, mené en partenariat avec l'Université de Münich et la Münich Wildlife Society, n'a pas pour but de favoriser l'augmentation du nombre de loups, mais de créer un système de management des populations de prédateurs dans la région. " En Roumanie, nous n'avons pas de système de suivi d'ensemble des interrelations entre grands prédateurs et communautés humaines - notamment en cas de conflit. Cet hiver, par exemple, un loup a passé plusieurs mois autour de Magura, sur le plateau ou dans les gorges. Ce loup faisait partie d'une meute de 3 ou 4 individus. Il avait pris l'habitude de manger les chiens du village. Tous les chiens y sont passés! D'où certaines tensions avec la population. En fait, le but de nos études est d'aider la population des cantons sylvicoles, et ces études manquent également pour l'ours et le lynx. Je pense notamment au problème de Racadau, ce faubourg de Brasov où les ours viennent se nourrir aux poubelles urbaines. C'est un site de conflits potentiels. Il n 'y a encore jamais eu de problème, mais dans le futur ? Actuellement, nous avons affaire à une deuxième génération d'ours qui se sont habitués aux poubelles humaines".

Le biologiste Ovidiu lonescu pense qu'on peut, en Roumanie, "gagner la bataille du loup" : "Nous en sommes à un moment clé dans l'acceptation et la sensibilisation à la présence des grands carnivores - et c'est pourquoi le volet éducation et communication est important. Si on considère le problème sous ses aspects écologiques et économiques, une région a tout à gagner avec la présence du loup. Il permet de contrôler les populations de proies. Là où il est présent, on note un changement dans l'éthologie du chevreuil : indirectement, le loup favorise ainsi la régénération naturelle de la forêt, dans les zones d'avalanche notamment, la végétation peut pousser et fixer le terrain. Je pense qu'en présentant bien les avantages écologiques de sa présence, on peut gagner la bataille du loup".

L'image du loup en Roumanie

D'après le biologiste Ovidiu lonescu, du Parc Naturel de Piatra Craiului, l'image du loup en Roumanie est double: "Il y a deux catégories d'intérêt dans les relations entre le loup et l'homme. Pour le citoyen moyen, le loup véhicule plutôt une image sympathique. Au pire, il lui est indifférent. Cette relation n'est naturellement pas la même avec les chasseurs et les bergers, plutôt hostiles au loup et aux autres grands carnivores - ours et lynx. Parmi les chasseurs, l'idée de l'utilité du loup a des adeptes, mais la majorité ne l'accepte pas". Pourtant, les éleveurs rencontrés restent fatalistes face aux attaques de l'ours et du loup, qui font partie de leur quotidien. "L'été, les attaques d'ours ou de loups, on en connaÎt toutes les deux ou trois nuits, témoigne l'éleveur et chef de camp d'estive Nicolae Popoliu. Surtout les nuits sombres ou quand il pleut. En 1999, les loups m'ont emporté 4 brebis, les ours 2 vaches et 2 cochons". Ces pertes lui paraÎssent normales, de même que le chiffre de 7 bergers pour garder 400 moutons lors des mois d'estive. "Je connais le métier : dans la famille, on est berger depuis trois générations. Mon fils de 14 ans reprendra sans doute après moi. C'est vrai qu'on serait plus tranquilles sans les loups, mais je ne trouverais pas normal non plus de les tuer tous".