2.1 - L'enclos nocturne


Les corrales traditionnels de la Sierra de la Culebra

Les corrales traditionnels de la Sierra de la Culebra sont des enclos nocturnes remarquables à plusieurs titres. Parfois vieilles de plusieurs siècles, ces belles constructions de pierres sèches adoptent des formes diverses (ronde, ovale, ou carrée). L'une d'elles se présentait comme un carré de pierres sèches d'une quinzaine de pas de côté, d'environ 2 mètres de hauteur, pouvant abriter de 50 à 60 brebis. A l'intérieur, un portique rudimentaire supporte un auvent de bruyère qui fait le tour de l'enclos, formant ainsi une sorte de petite cour intérieure à ciel ouvert. On y accède par une porte basse. Pour sortir le fumier, l'éleveur démonte un pan de mur, assez large pour laisser passer la charrette. Le mur sera ensuite remonté pierre à pierre.

L'archaïsme de ce système de protection pourrait faire douter de sa fiabilité lors d'une attaque nocturne. Pourtant, d'après les gardes de la réserve, les bergers et éleveurs rencontrés, le système est efficace: tous nos interlocuteurs ont affirmé que le loup ne rentre jamais dans ce genre d'enclos, "car il sait qu'il ne pourrait pas en ressortir du fait de l'inclinaison de l'auvent, et du toit de bruyère qui ne supporterait pas son poids", nous explique l'éleveur José-Maria Soto. Les corrales sont surtout utilisés pendant la belle saison : "L'été, on ne rentre pas les troupeaux à la bergerie. Les bêtes passent la nuit dans l'enclos. Les chiens restent autour. Depuis douze ans que j'ai des brebis, le loup m'en a mangé pas mal, mais dans l'enclos, jamais".

D'après le garde de la réserve Enrique Calvo-Bleye, si l'éleveur ne dispose pas de corral traditionnel, il peut construire un enclos avec des matériaux modernes. Mais si l'enclos est mal fait, le risque est que le loup y pénètre : "Sur une seule attaque, dans un enclos moderne, j'ai compté 130 pertes, raconte Enrique Calvo-Bleye. Le problème, ça n'est pas le loup, mais l'éleveur. Si son enclos était bien fait, le loup ne tuerait que 2 ou 3 brebis". Pour un enclos efficace, il faut des clôtures en grillage "assez hautes" (2 à 3 mètres), que la partie supérieure de la clôture forme un redent orienté vers l'extérieur, et incliné vers le bas. "Et naturellement, il faut aussi des chiens qui dorment près de l'enclos - à l'extérieur. Les chiens doivent toujours rester avec les brebis". Autre inconvénient des enclos modernes: ils sont très loins d'avoir les qualités esthétiques et paysagères des corrales traditionnels.

En Italie

Dans le Parc du Gigante, des enclos ont été réalisés par la Communità montana avec des matériaux modernes. Responsable scientifique du parc, Willy Regioni projette d'en construire d'autres et en évalue le coût: "Nous allons construire sur le territoire du parc 6 ou 7 enclos nocturnes en grillage du même type que celui de la Communità montana. Ils seront plus hauts (grillage de 3 mètres au lieu de 2 mètres, avec un redent tourné vers l'extérieur). La base du grillage sera profondément enterrée pour éviter le creusement de tunnel par le prédateur. Le prix du mètre linéaire est évalué à 150000 lires - environ 75 euros - coût moyen, transport des matériaux sur place compris".

Mais tous les enclos faisant appel aux matériaux modernes ne sont pas tous aussi coûteux: dans les Abruzzes, on utilise de simples grilles à béton de 1,90 mètres de hauteur, "très efficaces contre le loup", d'après les éleveurs. Confirmation de Jean-Marc Landry, spécialiste des techniques de protection contre les prédateurs : "Le seul problème est que ce type de parc est difficile à déplacer: le terrain devient rapidement boueux, d'où risques de piétin ou autres maladies. Il faudrait pouvoir déplacer le parc tous les 2 ou 3 jours, et disposer de plusieurs cabanes de berger sur l'alpage".

En Roumanie

L'enclos n'est pas conçu de manière défensive: les brebis sont rassemblées pour la nuit derrière de simples barrières de planches - qui offrent l'avantage de pouvoir être déplacées tous les deux ou trois jours. Les bergers passent la nuit dans des cabanes, à proximité, ou dormènt à même le sol, enroulés dans de grandes couvertures en peau de mouton. Les chiens restent également à proximité de l'enclos. En cas d'attaque, bergers et chiens font face ensemble aux prédateurs.

L'éthologue et spécialiste des techniques de protection Jean-Marc Landry pense que "l'enclos de nuit idéal est la barrière électrifiée, même si, il faut toujours le rappeler, aucune méthode ne sera jamais efficace à 100 %:". Ce type d'enclos est testé en Roumanie par le Projet Grands Carnivores des Carpates. "Nous mettons en place un programme d'aide et d'information pour les bergers - notamment pour le financement de clôtures électriques, explique Andrei Blumer, chargé des relations avec les communauté locales. Nous avons mené deux expériences l'an dernier, dont l'une s'est révélée très positive. Cette année, 20 clôtures seront achetées et testées".