3.5 - L'adieu à la civilisation rurale traditionnelle
En Europe de l'ouest, les éleveurs se sentent seuls et oubliés de tous en temps que catégorie socio-professionnelle. Les bouleversements qui ont affecté les sociétés agricoles ces dernières décennies y sont certainement pour quelque chose . Sur tous les territoires étudiés, des témoignages et des chiffres éloquents racontent cette révolution vécue - ou plutôt subie - en l'espace d'une ou deux générations.
Sierra de la Culebra
"La région a connu un exode rural très importan t, et la tendance démographique est toujours à la baisse, constate Vincente Martellan, chef des gardes de la réserve. 5000 personnes vivent sur la réserve, qui recouvre en partie ou en totalité le territoire de 12 communes et 32 hameaux. "La population est surtout constituée de retraités et de bergers, Ici, sur la commune principale de Villardeciervos, je dirais qu'il y a une quinzaine de bergers pour 500 retraités".
Somiedo
1700 habitants, disséminés sur 36 hameaux (30 000 ha). La région a connu un véritable exode entre 1960 et 80. "La physionomie de l'élevage a bien changé en quelques décennies, explique Belarmino Fernandez, maire de Pola de Somiedo, II y a encore 40 ans, il y avait peu de vaches, beaucoup de moutons, et beaucoup de gens pour s 'occuper des bêtesc'est l'inverse aujourd'hui. Le nombre d'éleveurs a beaucoup diminué du fait de l'exode rural, mais les troupeaux sont plus importan ts, et la rentabilité a augmenté. Sur la commune, on compte actuellement 280 éleveurs (60 % de la population de Somiedo vit directement de l'élevage bovin) qui élèvent entre 7 000 et 8 000 vaches, exclusivement pour la viande. Il ne reste par ailleurs que 5 troupeaux de moutons qui viennent en transhumance chaque année depuis l'Extremadure. Avec la fermeture des milieux, c'est un véritable désastre écologique et paysager".
Gigante
M. Fiorini, Président du Parc Régional : "5 villages se trouvent sur le territoire du Parc du Gigante, assez densément peuplé pour une région de montagne, même si nous connaissons les mêmes problèmes démographiques que dans les autres zones de montagne: la population a diminué de 50% depuis le début du siècle. La moyenne d'âge est de 60 ans. L'agriculture traditionnelle a changé radicalement, car on se trouve ici sur la zone de production du Parmesan : l'élevage des vaches est bien plus rémunérateur. Conséquence: les pâturages à moutons situés audessus de 1100 mètres se trouvent pratiquement abandonnés. Le cheptel ovin, de 20 000 têtes il ya 15 ans, est tombé à 2000-2500 têtes".
Dans les Abruzzes
Le pastoralisme a également connu des changements radicaux depuis une cinquantaine d'années. Pour caractériser ces changements, Cinthia Sulli rappelle que "le cheptel ovin des Abruzzes s'élevait à 6 millions de têtes en 1950. En 1995, il n'yen avait plus que 500 000". La région a également connu un exode rural important, avec des villages déserts ou essentiellement peuplés de personnes âgées.
L'adieu à la civilisation rurale traditionnelle reste douloureux. Les changements radicaux survenus lors des dernières décennies font peur, et expliquent sans doute le besoin de faire front contre un ennemi commun, de resserrer les rangs face à un avenir incertain. Sur le plan symbolique, le loup permet d'exprimer le malaise et le mal-être de toute une catégorie socio-professionnelle : il est évident que ces sentiments sont d'ordre beaucoup plus général, et sans doute communs à beaucoup de paysans européens. Le loup apparaît comme un catalyseur, un exutoire. Ce que veulent les éleveurs, c'est exister, être reconnus en temps que partenaires et "parties prenantes" de la société actuelle.