3.2 - Italie : "se battre contre l'inconscient collectif"
On retrouve dans les Abruzzes la stratégie du sacrifice rituel utilisée à Somiedo et dans la Culebra, toute aussi efficace, mais appliquée d'une manière différente: le Parc des Abruzzes joue à fond la carte de la communication, du rationnel et du visuel
En Italie, une statégie toute différente - en apparence - a été adoptée
Au contraire des deux espaces naturels espagnols, l'espèce est ici strictement protégée. C'est sur des bases rationnelles et scientifiques, par une politique de communication avec les éleveurs et la population, que Franco Tassi, directeur du Parc National des Abruzzes a choisi de "se battre contre l'inconscient collectif" :
"Dans les années 70, il ne restait plus qu'une centaine de loups en Italie. Depuis, nous avons dû nous battre contre l'inconscient collectif, contre la peur ancestrale du loup. Tout le monde a entendu cette légende que l'on racontait, avec d'inévitables variantes, dans tous les villages de la région : un jeune soldat rentre chez lui, tard le soir, et se fait dévorer par les loups. Le lendemain, on retrouve ses souliers, jamais rien d'autre. En fait, à l'étude, et en dehors des cas de loups enragés historiquement avérés, toutes ces "histoires vécues" se sont révélées être des rumeurs sans fondement".
Ces rumeurs, ces vieilles légendes sont explorées et exposées au Centre du Loup de Civitella Alfadena. Cet espace muséographique compte parmi les outils principaux permettant de lutter contre l'inconscient collectif. "Nous avons obtenu la réhabilitation morale du loup, estime Franco Tassi. Nous avons aussi obtenu l'interdiction des poisons de chasse. Enfin, nous travaillons sur le projet intitulé "Arme blanche", qui vise à la conservation de la race des chiens de berger abruzzains (Maremmes Abruzze). C'est un moyen de plus pour communiquer avec les éleveurs. Nos programmes de communication avec eux portent d'ailleurs déjà leurs fruits: maintenant, beaucoup de bergers et d'éleveurs recherchent les contacts avec les autorités du parc".
Les propos de Franco Tassi semblent bien confirmés par les discussions avec les gardes du parc, notamment Giuseppe Di Nunzio, qui a vu l'évolution des mentalités en 40 ans de présence sur le terrain, ou encore avec l'éleveur Gregorio Rotolo, plus intéressé par l'obtention d'un "Iabel-parc" que par le loup en tant que tel. Mais le prélèvement sur la faune sauvage n'a-t-il pas lieu ici aussi, d'une manière détournée, inconsciente ? Au Centre de Vision (zoo) de Pescasseroli, siège du parc, on peut voir quelques ours et un jeune loup recueillis par les gardes. Ces animaux ont été "prélevés" sur le milieu naturel soit parce qu'ils n'avaient aucune chance de survie en liberté (le jeune loup), soit, dans le cas de tel ours, parce que l'animal était devenu si familier avec les touristes (et leurs ressources nourricières inépuisables), qu'il aurait pu constituer un danger pour ceux-ci. D'un point de vue écologique, ces animaux sont sacrifiés: ils ne jouent plus aucun rôle dans l'écosystème ... On aurait tout aussi bien pu les tuer lors d'une chasse expiatoire, comme en Espagne - mais ils acquièrent ici une fonction symbolique différente de "familiarisation avec l'espèce".
On retrouve donc dans les Abruzzes la stratégie du sacrifice rituel utilisée à Somiedo et dans la Culebra, toute aussi efficace, mais appliquée d'une manière différente : le Parc des Abruzzes joue à fond la carte de la communication, du rationnel et du visuel. Avoir la possibilité d'observer, au centre de vision de Pescasseroli, l'ourse friande de miel, ou le jeune loup joueur, est certainement un atout déterminant au niveau de l'inconscient collectif. Le symbole s'en trouve à la fois mis à nu, désamorcé... et valorisé, comme on le verra dans le dernier chapitre consacré au "capital-loup".