4.2 - Réintroduire des ongulés sauvages pour éloigner le loup du bétail


Dans la Sierra de la Culebra

On retrouve la même réflexion, formulée de la même manière, que dans les Abruzzes. Ainsi dans l'histoire de la réintroduction du cerf et du daim, un épisode raconté par le garde Enrique Calvo-Bleye : "Au départ, l'une des missions principales de la réserve, créée en 1973, était la réduction des dégâts causés par le loup sur l'élevage. Pour limiter ces dégâts, on a eu l'idée de réintroduire le cerf, disparu de la région au début du XX, siècle, mais d'une grande importance historique pour la Culebra, comme en témoignent de nombreux toponymes locaux: Villardeciervos, le ruisseau du Cervato ... ". Une centaine de jeunes cerfs et biches de l'année, issus de la Sierra Morena, Province de Jaen, ont donc été relâchés dans un grand enclos d'une dizaine d'hectares, et dans un premier temps, nourris artificiellement. "Quand ils ont été adaptés, on a enlevé l'enclos. Au début, pendant les premières années, beaucoup de cerfs ont été la proie des loups. En même temps, on avait réintroduit des daims :  ceux-ci ont été exterminés par les loups dès l'hiver suivant". Pour permettre la survie des populations de cerfs, il a donc été décidé de "tuer assez de loups" pendant les 4 ou 5 premières années. "Au bout de 5 ans, le nombre de cerfs étant jugé suffisant, on a arrêté de chasser les loups. Dès 1983, on a pu vérifier que les populations de cerfs étaient bien stabilisées".

A Somiedo

Dans un petit massif des Asturies, le cerf, réintroduit dans les années 1950, a connu une augmentation de ses effectifs jusqu'à atteindre des densités qui comptent parmi les plus élevées d'Europe.

Le succès de ces réintroductions d'ongulés sauvages n'est pas sans conséquences sur la végétation et les cultures, comme on a pu le constater à la Culebra et à Somiedo : "Notre plus gros problème reste l'indemnisation des dégâts dûs au sanglier et au cerf, explique Belarmino Fernandez, maire de Pola de Somiedo et membre du conseil d'administration de la réserve. Les paysans accusent les cerfs de manger le fourrage de leurs vaches". A Somiedo, en 1998, toutes espèces confondues, 22 millions de pesetas (135 000 euros) ont été versés au titre des indemnisations, dont :

 

13 millions de ptas pour le sanglier (79 000 euros)
 4 millions de ptas pour le cerf (25 000 euros)
 4 millions de ptas pour le loup (25 000 euros)
 1 millions de ptas pour l'ours  (6 000 euros)

 
Les réintroductions d'herbivores sauvages sont donc loin d'être la panacée, et peuvent tout aussi bien déplacer le problème - de l'élevage à l'exploitation forestière ou agricole. Mais qu'en serait-il du même territoire sans la présence du prédateur, dont l'une des fonctions dans un écosystème est d'écrêter les hautes densités des populations de proies? Sans le loup, la situation serait sans doute bien différente sur le massif de Somiedo, où l'on a pu compter un millier de cerfs, 850 vaches et 100 cheva ux, sur un petit massif de 50 km² - peut-être l'une des densités d'ongulés les plus élevées d'Europe (Vignon 1995, 1997).

Chien errant et chacal

En Europe de l'ouest, les chiens errants représentent un réel problème pour l'élevage.

"A mon avis, le problème des chiens errants est bien plus grave que celui du loup, affirme Franco Tassi, directeur du Parc National des Abruzzes. En Italie, nous avons, en tout, 500 loups, et environ 50 à 60 000 chiens errants. Le gros problème est de contrôler ces populations, qui tendent à vivre en meutes, et s'hybrident parfois avec le loup. En Italie centrale, plusieurs régions indemnisent les dégâts dûs au chien errant. Mais le problème n'est absolument pas reconnu au niveau de l'Etat: la région indemnise sur ses fonds propres". 

D'après les témoignages recueillis, le chien errant est totalement absent de la Sierra de la Culebra, de Somiedo, et des Carpates (les territoires où les densités du loup sont les plus élevées) - tout simplement parce que le loup les mange.

Le problème du chacal (Canis aureus) est essentiellement esteuropéen: "On constate que partout oû le loup a disparu, le chacal s'installe, remarque Ovidiu lonescu, du Parc Naturel de Piatra Craiului. C'est vrai dans la région du Danube, et vers Dobroja. On en a signalé en Autriche, jusqu'à Vienne. En Europe, la population du loup est une barrière contre le chacal, qui pourrait bien arriver jusque chez vous en Europe de l'Ouest".